Les faits
Le propriétaire d’un immeuble constatait en novembre 2019 des fissures et désordres structurels qu’il attribuait à la sécheresse survenue durant l’été.
Il déclarait immédiatement le sinistre à son assureur et faisait dresser un constat d’huissier le 6 novembre 2019, complété d’un devis de réparation chiffré à 24 916,65 €.
Sans attendre l’arrêté interministériel reconnaissant l’état de catastrophe naturelle (publié le 12 juin 2020), l’assuré procédait aux travaux de réparation, achevés en juin 2020. L’assureur diligentait ensuite deux expertises amiables (novembre 2020 et avril 2021) qui concluaient à l’impossibilité d’identifier la cause des désordres en raison des réparations effectuées. L’assureur refusait alors la prise en charge du sinistre.
Le propriétaire sollicitait alors la désignation d’un expert judiciaire.
La question posait à la Cour était la suivante : un assuré peut-il encore solliciter une expertise judiciaire lorsque les désordres qu’il invoque ont déjà été réparés ?
Décision
La cour d’appel de Reims rappelle que l’article 145 CPC exige seulement l’existence d’un motif légitime, c’est-à-dire d’éléments rendant plausible l’action future, et la possibilité pour la mesure d’apporter une preuve utile. Le juge des référés n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé de l’action au fond.
En l’espèce, plusieurs éléments militaient en faveur de l’expertise :
la réalité des désordres était documentée par un constat d’huissier et un devis détaillé établis avant toute réparation ;
l’assureur, informé dès novembre 2019, n’avait pas demandé la suspension des travaux ni sollicité de pièces complémentaires ;
l’arrêté de catastrophe naturelle du 29 avril 2020 établissait le contexte d’une sécheresse pouvant avoir causé les désordres.
Ainsi, même si les désordres ont été réparés, l’expert judiciaire peut encore se prononcer utilement, notamment à partir des photographies, des constatations antérieures et de l’analyse du sol, pour évaluer la plausibilité d’un lien causal entre les fissures et la sécheresse.
La cour désigne donc un expert, aux frais avancés de l’assuré, afin d’analyser la nature des désordres, leur compatibilité avec l’aléa naturel reconnu et la qualité des réparations effectuées.
Portée de la décision
Cet arrêt illustre une approche pragmatique et souple de l’article 145 Code de procédure civile.
Les réparations ne forment pas un obstacle définitif à l’utilité d’une expertise, l’important est de savoir si elle peut encore éclairer le juge du fond.
Trois enseignements se dégagent :
- Primauté de la conservation des preuves : le constat d’huissier et le devis réalisés rapidement par l’assuré ont joué un rôle décisif pour démontrer la réalité initiale des désordres.
- Prise en compte de l’inertie de l’assureur n’ayant pas sollicité de sursis aux réparations ni réagi rapidement, ce qui a pesé dans l’appréciation du motif légitime.
- Souplesse dans l’appréciation de l’utilité de l’expertise : même après réparations, une expertise peut contribuer à établir le rôle de la sécheresse, grâce aux documents conservés et aux analyses techniques.
Cette décision contribue à sécuriser la situation des assurés confrontés à la nécessité de réparer rapidement leur bien endommagé, sans pour autant perdre le bénéfice d’une future expertise judiciaire. Elle rappelle que le juge des référés n’a pas à anticiper les débats du fond, mais seulement à vérifier l’utilité potentielle de la mesure.
Toutefois, la solution impose aussi à l’assuré une rigueur probatoire (constats, devis, photographies) et une vigilance procédurale, car sans ces éléments, l’expertise aurait pu être jugée impossible. Elle incite donc à une pratique prudente de la gestion des sinistres, où la conservation de preuves antérieures aux réparations demeure essentielle.